Du regard

Avril 1974… La Joconde est partie en voyage! Les ondes, les journaux nous ont avisés de son départ. Mille détails sont donnés : la toile voyagera par avion. Bien sûr le plus grand secret est gardé sur la date et l’heure du transit et le paquet voyagera dans l’incognito protecteur. L’emballage est imputrescible, ignifuge, insubmersible… L’information multiplie les détails pour mieux cacher le secret de ce qui peut scandaliser l’opinion. Car la Joconde, c’est leur Joconde, c’est notre Joconde ; c’est l’une des quatre ou cinq œuvres vers lesquelles, fendant la foule du Louvre, les guides affairistes et polyglottes conduisent les assoiffés de culture. Et voilà qu’elle part jouer ailleurs son rôle attractif. Au Japon, où on l’attend avec impatience et émotion, elle trônera légèrement surélevée par un socle de quelques marches, emmurée dans une cage de verre. Les Japonais défileront, mais la foule sera si nombreuse que les organisateurs de l’exposition, armés de chiffres et de statistiques, ont prévu un flot de visiteurs qui devra s’écouler lentement, mais sans arrêt possible ! Voir est monnayé, calculé, contrôlé! Tout a été prévu pour éviter le geste impie, sacrilège, qui ne manque pas de se produire comme s’il faisait partie de cet ensemble où l’objet est élevé au rang du sacré qu’un cérémonial protège d’un viol toujours possible.

Auteur
Claude This
Référence
RR19752-04
Expression et Signe, n°2, 1975
Catégories
Art
Esthétique
Psychanalyse
Peinture