De l’illusion…

Pour ce congrès, nous avons retenu le titre de Illusion, apparence, transparence. Quant au choix pour mon propos : celui de centrer la réflexion sur les deux premiers termes de la trilogie. Et tout d’abord l’illusion : elle constitue une interrogation par excellence de la tradition philosophique, cela depuis son origine antique. Pour preuve, Platon et l’allégorie dite de la caverne.
Un bref rappel suffira. Selon Platon, nous serions comme des prisonniers enchaînés dans une caverne. Des objets de notre environnement, nous ne voyons que des ombres (skia), projetées sur les parois de la caverne placées devant soi. Telle est notre condition d’humain, en tant qu’appartenant au monde sensible. Toutefois, grâce à l’éducation, nous pouvons nous élever et quitter notre demeure souterraine. Progressivement, nous parvenons alors par degrés au monde intelligible, au monde des Idées. Ce monde de lumière nous éblouirait si nous y accédions brusquement. C’est pourquoi, par paliers successifs, nous saisissons les objets (eidoola), perçus antérieurement comme des ombres. Elles nous apparaissent donc comme des copies de ces objets. Nous nous rendons compte alors de notre illusion (doksadzein). L’illusion se définit ici comme une erreur, une tromperie.
Rappelons que illusion vient de illudere, c’est-à-dire se jouer de quelqu’un. À la vue des objets, nous comprenons la nature des ombres projetées sur la paroi de la caverne. Ces ombres, copies d’objets n’ont que l’apparence des objets. Dès lors, définissons l’apparence comme une présentation, en tant qu’elle diffère de l’objet correspondant, du moins ici pour Platon.
Encore faudrait-il ajouter qu’avec la saisie des objets, nous restons dans le monde sensible. Pour le dépasser, il faut franchir de nouvelles étapes, afin d’accéder enfin à l’intelligible, au monde des Idées. Que découvre-t-on en y entrant ? Les objets sont eux-mêmes des copies des Idées correspondantes. Avec les Idées, nous accédons à l’être des objets, aux choses en soi. En conséquence, notre monde habituel, notre monde d’ombres est constitué de copies de copies, d’apparences d’apparences.
Par rapport à l’être, à la réalité elle-même, notre monde d’ombres, d’illusions se situe en tierce position. Copie de la copie, par son éloignement de l’être, il se place, se situe au troisième degré du Réel, c’est-à-dire de l’Idée. Ces copies de copies relèvent de qu’on appelle mimésis, l’imitation, à entendre comme imitation de l’imitation de l’être, monde sans consistance. Pour Platon, notons-le, l’art constitue le domaine paradigmatique de la mimésis. En conséquence, l’art, disons la poïésis, la création artistique sous toutes ses formes, représente le domaine illustratif de l’illusion.

Auteur
Jean-Philippe Catonné
Référence
RA002-18
Illusion, apparence, transparence
Journées d’Automne 2011
Catégories
Art
Philosophie