Transparence et reflet
Est-il une substance plus ancienne et plus innovante, dans les usages quotidiens comme dans la fabrique des illusions et les explorations scientifiques des confins infimes et infinis, que le verre (vitre, miroir, lentille…) dur et cassant, résistant et fragile ? L’écran de verre, ce rempart narcissique qui protège l’objet, comme celui qui le regarde, de toute tentative pour le toucher, en l’élevant tel un chef-d’oeuvre, en fait un plaisir de tête (cosa mentale), une affaire de sublimation ou d’idéalisation. Mais ce faisant, l’objet précieux (agalma /ma Gala) est auréolé d’une ambiguïté essentielle, d’un flottement de la signifiance… dus au fait que l’œuvre donnée à voir en transparence, se double de reflets changeants qui créent une double image ou des images multiples, parmi les- quelles la projection de celui qui la contemple (sorte de « regard off » comme on dit « voix off » au cinéma) et son propre arrière- pays, faisant de l’écran de verre, un écran de rêve. L’œuvre y gagne en étrangeté tout en tamponnant le désir de celui qui la contemple et qui est confronté non pas au paraître (ostentatoire), ni au com- paraître (moraliste), mais à l’éclipse apparaître/disparaître ainsi qu’au transparaître. Salvador Dalí, à dix ans seulement, fasciné par l’impressionnisme, emportait dans sa poche un bouchon de carafe en cristal, à travers lequel il voyait les choses « sous l’angle impressionniste ». L’œuvre la plus célèbre et la plus énigmatique de M. Duchamp : La mariée mise à nue par ses célibataires a aussi pour titre Le Grand Verre.
Seul celui qui connaît la matière de l’œuvre pour l’avoir choisie, pénétrée, pétrie, fouillée, frappée, taillée, détruite et restaurée, ce- lui qui en connaît le goût, l’odeur, les humeurs et les failles connaît à jamais son intimité et ce qui lui en a coûté de la porter dans sa propre chair, de la contenir dans son propre ventre au long du for- mage gestatoire, avant son expulsion. Tous les autres – esthètes et non pas artisans – ne connaîtront pas les secrets de l’atelier, ni de la scène primitive où le concept de l’oeuvre fut engendré ; ils n’auront avec l’oeuvre qu’un rapport extime sinon de surface, une émotion vraie mais frappée du sceau de l’illusion.
« Ceci n’est qu’une image, jamais vraiment ça » et si le corps de l’oeuvre nous est refusé, pouvons nous accéder au secret (énigme, intrigue) de son code parthénogénétique ?
Pour lire le texte complet s’inscrire ou se connecter
Auteur |
---|
Jean-Pierre Martineau |
Référence |
---|
RA002-10 Illusion, apparence, transparence Journées d’Automne 2011 |
Catégories |
---|
Art Peinture Psychopathologie de l’expression |