Œuvre et (ou) délire : cénotaphe des pères au secret

« Pater semper incertus est, mater certissima est ». L’adage attestant la révélation des rôles sexuels maternel et paternel en la deuxième époque du Roman familial (Freud, 1909) explique l’incertitude qui frappe toute relation au Père (réel/imaginaire/symbolique): sa légitimité illégitimité, ses intentions bienveillantes/meurtrières, sa qualité honorable/lâche. Le scellement symbolique du Père suture l’incertitude et expose aux pressions du conflit œdipien; mais la mise sous scellés (au secret) de l’identification déficiente ou impossible au père (Chasseguet-Smirgel, 1979) et des liens de filiation incertains ou reniés, peut inspirer des variantes fictionnelles, artistiques du Roman familial. Pas nécessairement celles d’un visionnaire illuminé, ni d’un entrepreneur cynique, car s’il est des secrets empoisonnés et mortifères, il en est des chérissables, protecteurs et créatifs. Ainsi des œuvres en clair-obscur, aux secrètes atmosphères, qui conjuguent les dilemmes, les énigmes et les intrigues plutôt que les mystères ou les traumatismes dramaturgiques. Œuvres d’auteurs sans orgueil d’enfant-roi, ni haine de revanche (Robert 1972), mais capables de critique caustique contre la lâcheté des puissants et de compassion pour les plus fragiles. Leur caractère autobiographique ne concède en rien au révélations intimes, car il n’est pas nécessaire de cacher pour protéger un secret. Ces auteurs sont doux, voire effacés, empruntés, sans mâle assurance, mais séducteurs et chérissables par le besoin de consoler ce qu’ils réveillent.
Ainsi pour nous, les œuvres de F.Truffaut (1985), de G.Garouste (2009) et de P.Modiano (2005), issues de « ces périodes de haute turbulence (qui) provoquent des rencontres hasardeuses » (Modiano) : – guerres ; – Occupation; – exil… où tous les pères ne furent pas des héros ! L’œuvre exposée et consacrée par un public n’en reste pas moins un cénotaphe, c’est-à-dire un tombeau pour père au secret, une interprétation du secret du désir (ou non désir) de conception, une solution pour tenir le vide enclos, pour soutenir « la relation d’inconnu » (Rosolato, 1978) et donner vie à nos altérités secrètes (Anzieu, 1981) : être soi-même-autre-ment.

Auteur
Valérie MAZOYER
Jean-Pierre MARTINEAU
Référence
RA001-05
Partager, lever, taire un secret
Journées d’Automne 2010
Catégories
Psychanalyse
Psychopathologie de l’expression
Cinéma
Peinture
Écriture