Secret, fondement et commencement

Le secret obéit à une logique paradoxale puisqu’il n’existe que s’il est connu comme tel : ce qui est caché doit pouvoir être révélé comme étant caché. Un secret qui n’est pas connu comme tel n’en est pas un : un secret réellement « secret » n’en serait pas un. Mais, dans la mesure où précisément ce qui est révélé n’est plus un secret, ce dernier se nourrit de ce qui le détruit. Le secret partage d’ailleurs avec la prophétie cette curieuse propriété de n’avoir d’efficacité que dans leur effacement : pour faire qu’une prophétie ne se produise pas, il faut prophétiser qu’elle va se produire ; pour faire qu’un secret ne se réalise pas (ou ne soit pas connu) il faut faire savoir qu’il peut se réaliser (ou être connu) et inversement.
Le secret, comme la prophétie, porte sur différents types de possibles : certains sont susceptibles de s’actualiser (de se réaliser, d’être connus), d’autres, par nature, échappent à toute forme d’actualisation. Le fondement est forcément de l’ordre du secret : il faut faire savoir qu’il existe mais qu’on ne peut en révéler le contenu. C’est précisément parce qu’il «échappe» que ce contenu est « fondant » (à la fois dans le sens de fonder et de fondre). Tel un « fusible », le fondement protège le secret de l’origine des assauts de la connaissance tout en lui permettant de progresser.
Ce lien entre secret et fondement vaut également pour le commencement. En effet, sait-on jamais quand « ça commence » ? Un commencement est toujours daté a posteriori. L’acte initial s’efface dans ce qu’il réalise et ses conséquences révèlent le secret de son origine (de celui ou de « ça » qui décide). La recherche du commencement est toujours « à la limite », au sens mathématique du terme comme du point de vue spatio-temporel. Le commencement peut être envisagé comme « limite du passé » (big-bang, mur de Planck, vitesse de la lumière, zéro absolu), comme « limite du présent » (absence d’année zéro, datation des événements historiques) ou encore comme « limite du futur » (commencement de l’être humain, datation de la mort, commencement de l’acte). Tous ces commencements sont en fait des fictions construites a posteriori pour tenter de combler tout en le maintenant, le fossé qui nous sépare de l’origine et de son secret.

Auteur
Jean-François LAMBERT
Référence
RA001-11
Partager, lever, taire un secret
Journées d’Automne 2010
Catégories
Philosophie