Amour, désir et création

L’intitulé de mon exposé, en fait, ne correspond pas à ce que j’ai envie de vous dire aujourd’hui, et à ce que m’avait inspiré d’emblée le thème proposé pour ces journées !
J’avais envie de prendre le sujet à contre-pied: le non-amour, l’absence de désir, la destructivité. Peut-être pour aller à l’encontre d’une idéologie trop idéalisante. Dans le domaine du handicap, bien souvent, on est sous l’emprise d’un discours idéologique d’une bien pensance utilitariste, fonctionnaliste et moralisante qui entrave l’abord de la dimension inconsciente.

Mais ce qui reste au centre de mon propos, c’est la notion de création et de créativité.

Toute création implique amour et désir, bien sûr. Mais encore faut-il définir ces notions trop générales, et en déployer l’infinie complexité. N’est-ce pas là, dans l’amour et le désir, que se manifeste de manière privilégiée l’ambivalence fondamentale de la vie psychique ? L’ambivalence est une des notions les plus importantes qu’a décrites la psychanalyse, qui a mis en lumière l’ambivalence fondamentale de notre vie affective, les sentiments contradictoires, les progressions et les régressions, l’amour et la haine, la vie et la mort

L’approche psychanalytique permet d’aborder l’ambivalence des sentiments. Sur le plan clinique par exemple, on nous reproche souvent de culpabiliser les parents, mais c’est bien au contraire soulager la culpabilité que d’offrir aux parents la possibilité d’exprimer les sentiments négatifs à l’égard de l’enfant, sachant que la vie psychique normale se compose toujours de sentiments positifs et négatifs, ce qu’il est d’autant plus important de souligner à l’heure où les publications anglo-saxonnes insistent de plus en plus sur la nécessité de « positiver » les situations.

La psychanalyse ne permet pas d’ignorer que derrière les discours manifestes se camouflent des fantasmes beaucoup moins bienveillants, liés aux représentations inconscientes aussi bien individuelles que collectives, que suscite la figure inquiétante du handicap et qui correspondent à ce que la psychanalyse définit comme des formations réactionnelles.

Par conséquent, si l’on veut étudier les processus psychiques de la création chez les personnes handicapées, et si on veut éviter une approche trop idéalisante, il faut faire place aussi à la colère, la haine, le non-désir, la révolte. On pourra montrer dans certains trajets d’artistes ou de personnes handicapées réalisant des œuvres artistiques dans des ateliers, que la source de création provient d’une posture négative, qui attaque la matière créative, pour la transformer en une réalisation qui prend une forme et qui sera transmissible. Ce qui est transmis alors, ce n’est pas tant le désir et l’amour, mais des expériences négatives, qui pourront être partagées, expériences de non-désir ou de désamour. De telles démarches artistiques produisent de grandes œuvres, mais elles sont parfois mal supportées par les équipes. Il faut donc en montrer l’intérêt, voire la nécessité, en désarçonnant la peur qu’elles inspirent, du fait de l’agressivité qui s’y présente ou le vide dont elles procèdent.

Auteur
Simone Korff Sausse
Référence
RA008-06
Désir et Amour
Journées de Printemps 2016
Catégories
Psychanalyse
Poésie
Cas clinique