L’indicible secret de Camille Claudel

On connaît la vie de Camille Claudel (1864-1943) et le drame qui l’a conduite à Tasile. Dans un essai que je lui ai consacré (Camille Claudel, le miroir et la nuit), j’ai tenté de montrer que son œuvre tout entière était marquée du signifiant de l’ombre et de la nuit.
Si la peinture est « poésie muette », comme le dit Céos (556 av. J.-C.), la sculpture ne l’est pas moins. Toute statue est comme un occulte secret qui jamais ne se livre en mots ; secret gisant bien au-delà de ce qu’elle figure, dans ce qui la fait forme, profondeur, matière ; secret des origines de l’être, monde d’avant la parole encore marqué d’un désir indicible. C’est la raison d’exister d’une œuvre de ne pas se livrer en paroles mais dans sa forme.
Quel serait donc le secret de Camille Claudel ? Désir écartelé, sans doute, pris en otage de la détresse d’une mère en deuil de son fils mort 15 jours après sa naissance2 ; désir mortifère finalement exaucé dont l’ambivalence (amour-haine) a envahi l’esprit de Camille jusqu’à la fracture. La sculpture porterait-elle dans sa forme même la marque de ce désir et de cette ambivalence ?
Dans le volume, le plein apparaît comme une « revendication virile » : ériger une sculpture dans l’espace, le pénétrer, affirme certainement une ambition phallique. Le plein, selon la philosophie chinoise, est apparenté au yang masculin. À l’inverse, l’espace vide qui enveloppe toute chose, s’impose comme matrice symbolique ; il est apparenté au yin féminin.
Le secret jamais révélé de Camille Claudel se livrerait-il dans les relations qu’entretiennent le plein et le vide dans sa sculpture ? L’espace matriciel que constituerait le vide comme instance persécutrice féminine donnerait alors un autre sens au délire de Camille. Le « voleur » n’appartiendrait plus uniquement à la « bande à Rodin ». Comme l’écrit Maurice Corcos, Auguste Rodin est aussi : « figure maternelle3». La désintégration psychique ne regarderait plus alors uniquement le sculpteur, mais viserait aussi la mère de Camille, Louise-Athanaïse, d’un désir de mort si puissant qu’il se retournerait en délire de persécution et en fureur destructrice. Deux sculptures confrontées à la correspondance de Camille nous aideront à formuler cette hypothèse.

Auteur
Gérard BOUTÉ
Référence
RA001-08
Partager, lever, taire un secret
Journées d’Automne 2010
Catégories
Esthétique
Phénoménologie
Sculpture