« Arrêt sur regard ». Une approche des autoportraits de Léon Spilliaert sous l’angle scopique

Qualifié de « visionnaire », Léon Spilliaert, peintre belge né à Ostende à la fin du XIXe siècle, peut être considéré comme précurseur de plusieurs courants artistiques de l’époque.
Cependant, son œuvre reste foncièrement inclassable tant elle est singulière. Et ce qui la rend singulière, outre une composition savante, l’emploi de techniques mixtes, de tons particulièrement désaturés et la prédominance de formes courbes, réside surtout dans sa vision du monde (habité ou non), des corps et de lui-même. Ses autoportraits en témoignent et ne laissent que rarement indifférent celui qui les regarde. S’en dégagent, en effet, une sensation d’étrangeté, de malaise voir de frayeur ou même d’effroi. Les regards de Spilliaert s’originent de béances redoutables, trous noirs ou taches aveugles devant lesquels, piégés, on s’incline comme devant certaines anamorphoses ou vanités, ce qui a pour effet de nous renvoyer à nous mêmes… irrémédiablement dépouillés.
Mais ces regards lui sont avant tout destinés. Se peindre est-ce se rencontrer ? Et si oui, sur quel terrain va se jouer la rencontre ? Nous ne pouvons dès lors éviter cette interrogation ; que voient les yeux de Léon ? Lorsqu’il affronte le miroir, c’est l’image spéculaire qui l’intéresse ; son double et peut être tout autant la schize, la dissociation entre le modèle et son image, entre la réalité et son reflet.
Reste cette image d’un regard pétrifié et pétrifiant, Gorgone à lui seul, capable de suspendre le temps et de figer la matière, d’arrêter la vie en sidérant tout dans un silence de mort.
Ou encore, s’agit-il d’une expérience autre mais tout aussi radicale, celle d’une désincarnation (d’une perte), passage du corps réel à l’image fantomatique tel un spectre matériellement inconsistant ?
Continuer à peindre (sans arrêt) se ferait alors en réponse à l’effroi afin de contrecarrer cette menace de disparition, d’anéantissement du sujet.

Auteur
Tanja Verlinden
Référence
RA004-11
Regards
Journées d’Automne 2013
Catégories
Psychologie
Peinture