Pulsion scopique, image du corps et œuvre picturale : regards croisés à la source de la création

La question du regard traverse les mythes : à l’image du vampire ayant perdu son âme, interdit de percevoir son image dans le miroir ; à l’instar de Narcisse, mort à la vue de son propre reflet; à l’exemple de la Gorgone au regard pétrifiant; enfin, à l’image d’Œdipe aux yeux crevés face à l’irreprésentabilité de l’inceste et du meurtre du père, le regard dans un trop plein traumatique ou dans un aveuglement défensif, peut devenir un véritable enjeu de survie psychique tant dans la destructivité que dans la construction. Mais la question du regard traverse aussi la clinique: de quoi nous parlent nos patients, si ce n’est du regard qu’ils posent sur eux-mémes, du regard qu’ils pensent que les autres posent sur eux, et par ricochet transférentiel, de leur interprétation du regard de leur thérapeute?
Le talent de Lionel, un patient rencontré en service de néphrologie et peintre notoire, dont la greffe de foie l’a révélé dans son art, et le génie d’Henri de Toulouse Lautrec, atteint d’une maladie osseuse congénitale, occupant ses longs moments d’immobilisation en dessinant et en peignant : leurs œuvres, sont à l’image des personnalités et des vies de ces hommes, des vies qui, loin d’étre rythmées par la maladie ou le handicap, ont été portées par la création. Les deux hommes incarnent un véritable paradoxe : figures emblématiques de la résilience, ils illustrent la décadence des peintres en mal de vivre, irrésistiblement attirés par les conduites à risques, sexuelles ou alcooliques.
La création picturale chez ces peintres, nous semble démonstrative de la façon dont s’articulent sublimation (pulsion de vie) et destruction (pulsion de mort). En puisant dans la vie d’Henri de Toulouse Lautrec et dans certains éléments cliniques recueillis dans notre rencontre avec Lionel, nous proposerons d’étudier la manière dont la représentation de soi via l’image du corps se situe à la croisée d’une pulsion scopique animée à la fois par le dégoût, l’attrait et le désir de beauté, sources de création.

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