Pour la plupart d’entre nous, décliner son identité, son lieu de naissance, est chose simple. Pour quelques-uns, c’est au contraire la plus malaisée. Questionné sur mes origines familiales, je suis incapable de me dire « Alsacien » ; je me déclare « frontalier ». Cette esquive et le flou de l’adjectif, l’abîme de conflits qu’il suggère, laissent entrevoir une faille. Au lieu des bénéfices d’une double culture, c’est l’incomplétude de chacune d’elles en moi que je désigne. Toute frontière n’est qu’une convention provisoire, une abstraction ; alors, habiter un non-lieu ? Héberger un hôte jamais assimilé, à la fois désiré et rejeté, qui m’accompagne comme mon ombre ? Sa présence a causé des ravages.
Mon parcours se confond avec mes stratégies visant à la réduire ou à la faire mienne. Atteindre à la maîtrise de sa langue et l’enseigner ? Succès mitigé. Dans ma voix prisonnière, j’entendais l’écho d’un « autre » redouté. On ne s’approprie pas impunément la langue du persécuteur.
J’ai saisi la chance d’une reconversion : enseigner son art, le célébrer, c’était éloigner cet « autre », très exactement l’« envisager » — je compris cela plus tard. L’expressionnisme, pictural surtout, offre ici un terrain propice : il met en scène deux tendances, l’une cloisonnant les formes, les isolant à outrance, l’autre les noyant au contraire dans une exaltation chromatique dissolvant le sujet ; la tension extrême entre ces deux tendances est résolue par Paul Klee dans Ad Marginem, où l’échange entre énergies frontalières et centrales résume une pensée de la relation créatrice.
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Auteur |
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Georges Bloess |
Référence |
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RA021-13 Frontières Journées de Automne 2023 |
Catégories |
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Art Histoire Psychopathologie de l’expression Voix Enfance |