Le royaume du borgne

Le 26 avril 1969 au malin. Alain B., élève de sixième au Lycée Leconte de Lisle à Saint-Denis(Île de la Réunion), lue le temps comme il peut en classe d’étude surveillée.
Son voisin de table échange des houlettes à la sarbacane avec un autre élève. Un projectile s’égare venant loucher Alain à la cuisse ; celui-ci le relance aussitôt à son expéditeur qui. à court de munitions, lui jette un capuchon de stylo qui l’atteint à l’œil droit.
La douleur, qui ne durera que peu de temps et aura cessé à midi, est initialement très vive: « l’œil était lourd, on dirait qu’y avait un poids, une pierre qui pesait sur l’œil » et la vue s’est « … troublée aussitôt ; de cet a œil-là je ne voyais rien devant mot. Puis ta douleur est passée; on m a conduit à l’hôpital le jour même. On m’a bouche les deux yeux pendant quatre semaines ; et puis on m’a enlevé les deux d’un coup ; et on m’a mis des lunettes avec un trou au milieu… (sténopiques).
Aussitôt désocclus. Alain se plaint de ne pas reconnaître ce qu’il voit de l’œil droit : « Non. je ne voyais pas noir mais je ne distinguais pas. « 
Testée lors de la sortie de l’hôpital, l’acuité visuelle de l’œil droit donne des résultats voisins du zéro. ou. plus précisément. faibles et variables; dans les mois suivants elle apparaîtra restaurée à 4 10. mais lors d’un contrôle en cours d’année par la médecine scolaire elle semblera s’être de nouveau annulée, et l’on hospitalise derechef le jeune Alain, cette fois-ci pour trois mois d’occlusion bilatérale permanente.
Obligé de ce fait d’interrompre la fréquentation de la classe de cinquième en cours d’année, il n’y retournera comme redoublant qu’en septembre 1970. L’année s’achèvera, au prix d’interruptions capricieuses, dans un rang moyen autorisant de justesse. pour 1971-72, le passage en quatrième moderne. C’est à la fin de 1971, â la faveur d’une nouvelle aggravation du déficit visuel, qu’on m’amène l’intéressé. Encore a-t-il fallu, pour emporter cette décision des parents. que coexistent les thèmes introductifs d’une personnalité anxieuse, d’un tempérament nerveux, d’insomnies récentes par réveil matinal précoce, d’une relation jalouse aux deux jeunes sœurs (14 et 10 ans) de l’intéressé (qui en a 15 1/2). “Et puis il a eu un ennui il y a deux ans: il a perdu un œil », ajoute sa mère.

Auteur
Albrecht Éric U.
Référence
RR19771-01
Expression et Signe, n°1, 1977
Catégories
Art-thérapie
Étude de cas
Enfance
Évaluation